Désobéir de Frédéric Gros
Chapitre n°6 :
Du conformisme à la transgression
Dans ce chapitre
Frédéric Gros cherche à mettre en évidence et expliquer une autre raison qui
pourrait justifier la difficulté que l’on a à désobéir. En effet il revient sur
la précédente thèse qu’il avait évoquée, celle de La Boétie dans le Discours
sur la servitude volontaire, pour dire qu’on peut tirer une autre thèse de
ce texte. La Boétie parle, non seulement de la surobéïssance mais aussi d’une
sorte de conformisme car selon lui “La première raison de la servitude
volontaire, c’est la coutume”. Ainsi, l’obéissance ne tiendrait qu’à l’habitude
ce que Frédéric Gros explicite par la suite : « L’obéissance aux lois ?
C’est un produit de l’habitude, une habitude forcée par le suivisme. Chacun
aligne son comportement sur celui de tous les autres. On obéit par
conformisme. » Cette citation montre que pour Frédéric Gros la coutume
rend l’obéissance normale presque innée. Mais cette citation amène aussi une
autre raison à l’obéissance : le suivisme, le conformisme.
Frédéric Gros vient
d’amener le concept du conformisme. Afin d’illustrer cette idée il se munit de
deux exemples pour donner du poids à ses propos.
Dans un premier
temps, il prend comme exemple le livre de Christopher Browning, Des hommes
ordinaires. Il parle notamment de la scène ouvrant le livre. Narrant une
situation qui devient récurrente pendant la deuxième guerre mondiale. Une
mission ressemblant à beaucoup d’autres : sélectionner un nombre d’individus
donnés sur une population juive et envoyer les autres à la mort. Le commandant
chargé décide alors de réunir ses hommes afin de les faire choisir. Le choix
leur permet s'ils veulent de refuser cette mission. Il ajoute que s’ils la
refusent ils ne seront pas sanctionnés. Chacun se met alors à observer les
autres. Seulement quelques-uns décident d’avancer, les autres sont pris
« dans la glue des autres, empêchés par le boulet invisible et pesant de
l’inertie collective, prisonniers de la masse, pris dans la nasse, chacun captif
de ces « autres » qui n’existeraient pas sans chacun d’entre eux ».
Cette phrase de Gros montre bien que nous sommes parfois contraints dans nos
choix par les autres. On est restreint par le regard que les autres semblent
porter à notre égard.
Dans un deuxième
temps, il prend un autre exemple pour illustrer ce qu’il appelle suivisme. Cet
exemple c’est la célèbre expérience de Solomon Asch. Elle permet de mesurer
l’impact des choix des autres sur nos choix. L’expérience se déroule dans une
salle de classe, parmi les participants il n’y a que des complices sauf un vrai
participant. Le concept : repérer le nombre de traits identiques au trait de
référence. Au début, les complices répondent justes mais très vite ils décident
de répondre faux. Le vrai participant se retrouve alors perdu : répondre ce
qu’il pense vraiment ou suivre les autres pour ne pas être différent. Comme le
dit Frédéric Gros: “près de 40% des personnes auront la même attitude et
présenteront cette attitude de conformisme aberrant.”
Cela peut alors
sembler aberrant comme le souligne Gros lorsqu’il écrit: “Est-ce donc si
difficile d’avoir raison contre tous, de demeurer au ras de sa perception
élémentaire ? ” Cet exemple est encore plus parlant puisque le contexte
montre bien que l’étudiant ne risque rien s’il répond ce qu’il pense. Pourquoi
répond-t-il comme les autres alors qu’il ne risque rien ? Frédéric répond en
disant que c’est à cause d’une angoisse. Une angoisse de ne plus faire partie
d’un ensemble : “comme si ce détachement ne pouvait signifier qu’une chute,
comme un bloc se détache de la montagne. Chute angoissante hors du sein du
“nous” indifférencié, ployable et chaud, du “On” cotonneux. Chacun se laissant
traverser par cette nappe, cette épaisseur, cette consistance : le
comportement, l’attitude, l’opinion des autres.”
A la suite de ces
deux exemples il souhaite définir une autre forme de conformisme “moins
spectaculaire, moins provoqué, le conformisme immédiat, spontané, “naturel””.
Ce conformisme est alors plus répandu et se révèle notamment lorsqu’on dit :
“Mais enfin,
pourquoi posez-vous la question ? Vous voyez bien, ce que je fais c’est ce font
tous les autres !”
Cela lui permet par
la suite avec un jeu des pronoms personnels (“ce “on” est un “nous” qui se
conjugue comme un “il”, inclut simultanément le “tu” et le vous, absorbe le
“je”. Simultanément et indéfectiblement tout le monde et personne”) de montrer
qu’au fond la société se base sur une forme de conformisme. La sociologie ne
pourrait exister sans ce “on”. Comment étudier le comportement d’une société si
justement il n’y en a pas car tout le monde agit différemment. Puis, il évoque
les conférences sur Le Savant et le Politique de Max Weber. On y fait
référence à “l’autorité de l’éternel hier”, sorte de conformisme traditionnel.
En effet, pourquoi faudrait-il changer ce qui a toujours été comme tel ?
A cette forme de
conformisme, Frédéric Gros évoque deux formes de résistance : l’ironie
sceptique et la provocation cynique. La première, on la retrouve notamment chez
Descartes, Pascal ou Montaigne. Le sceptique accepte les coutumes et les
traditions de la société. Cependant, au fond de lui, il pense que ces coutumes
et ces traditions ne sont pas bonnes. Elles sont là puisque la société en a
besoin. Contrairement aux sceptiques, le cynique attaque frontalement les
conventions sociales que le premier rejetait intérieurement. Frédéric Gros
prend comme exemple Diogène qui refuse de se plier à la société : “il ne se
cache pas pour rire en catimini, par-devers lui, de la bêtise des coutumes,
tout en continuant à les suivre. Il refuse tout confort, matériel ou moral,
passe son existence à aboyer contre la stupidité sociale”. Le cynique tente de
dénoncer le conformisme régnant.
Frédéric Gros parle
ensuite du conformisme dit “moderne”. Celui-ci est lié aux démocraties
libérales, aux sociétés de consommation et production de masse. Pour appuyer
son idée il évoque le livre VIII de République de Platon qui critique la
démocratie non pas pour son conformisme mais pour sa prétention d’égalité. Il
entend dire que la démocratie cache la conformité par la proclamation d’une
égalité confortable à tous. Mais au fond si tout le monde se croit au même
niveau et si tout le monde souhaite participer à la vie de la société, cette
volonté de tous de se rendre utile entraîne des tensions. Comme le dit Frédéric
Gros “ce n’est pas le conformisme qui règne, c’est un difformisme”.
Il y a différentes
formes d’égalité que l’auteur présente. Celle de pure rivalité exprimée par
Platon et Nietzsche : “l’autre est mon égal quand je me trouve digne de
rivaliser avec lui”.
Puis il a l’égalité
de droit, elle découle des Lumières. Nous sommes tous nés égaux aux yeux de la
loi. La dernière, elle, est apparue avec l’idée du conformisme “moderne”, c’est
une égalité de normalisation. Tout, nous plonge dans le conformisme : “c’est
par le désir d’être soi qu’on nous fait ressembler le plus aux autres”. Cette
égalité nous pousse dans nos choix à vivre comme tout le monde vit.
A la fin du
chapitre, Frédéric Gros ouvre sur une autre forme de résistance au conformisme :
la protestation lyrique. Celle-ci se veut élitiste et aristocratique
puisqu’elle puise sa force sur une volonté “d’exigence d’élévation”. Pourquoi
se contenter de faire comme les autres ? Pourquoi se rabaisser à agir comme une
masse nourrissant le conformisme ? Cette résistance appelle au dépassement de
soi, au refus du rabaissement.
Frédéric Gros finit
alors ce chapitre par la phrase suivante : “L’universel, c’est toujours la
protestation d’une différence”. Il entend dire par là qu’au fond ce conformisme
omniprésent refuse l’idée que chacun est unique et différent ce qui serait un
facteur d’angoisse. Au fond, l’universalité est peut-être plus confortable. Cette
phrase résume alors bien le propos tenu par Frédéric Gros tout au long de ce
chapitre.
Amélie TL