Désobéir, Frédéric Gros, Chapitre 3 : "La Surobéissance"


Désobéir de Frédéric Gros


Chapitre 3 : La Surobéissance


Frédéric Gros ouvre le troisième chapitre par un exemple qui constitue sa thèse. Il évoque un texte sans le nommer, ou plutôt en le nommant sous son premier titre Contr’un, qui n’est pas le titre de l’œuvre connu du grand publique en créant ainsi une forme de mystère autour de l’œuvre. Cette figure rhétorique a pour but de créer un effet de suspens et de capter l’attention du lecteur. Il mentionne d’autre part le fait que Montaigne envisage le fait de placer ce texte au centre de ses Essais, ce qui lui donne une forme d’autorité.
Le texte semble avoir traverser les époques, publié au XVIème siècle, puis réimprimé en 1835 lors des révolutions sociales. Il cite une série de penseurs politiques iconoclastes, c’est-à-dire, refusant la tradition et cherchant le progrès politique l’ayant étudié ce qui accroit l’autorité du texte.
Frédéric Gros cite finalement l’auteur, La Boétie, le lecteur reconnaît alors le Discours sur la servitude volontaire. Montaigne affirme que ce texte « contre les tyrans », souhaite-t-il alors dire que le texte cherche à dénoncer les tyrans ? L’auteur cite alors une succession d’exemples historiques de despotes sanguinaires tel que Néron. Cependant là n’est pas le propos de La Boétie qui selon F. Gros « déplace le point de colère », c’est-à-dire aborde la question de la servitude politique sous un angle différent, ne condamne pas comme habituellement uniquement le tyran mais aussi le peuple asservi, responsable de son aliénation.
Il cite la première phrase de l’ouvrage de La Boétie qui exprime cette idée, ce « renversement ». Traditionnellement, un auteur s’insurge contre la cruauté du tyran, s’interroge sur son essence de celle-ci. L’auteur ici va, à contrario, dénoncer le « vice » du peuple, c’est-à-dire une sorte de penchant pour quelque chose réprouvé par la morale et va répondre à la question suivante : « Pourquoi le tyran demeure ? ». Il va alors citer quatre causes :
1)      Il continue de citer le texte de La Boétie et mentionne alors le commentaire qu’en fait Simone Weil, philosophe, penseuse sociale des années 30, qui souligne l’absurdité des rapports de force en politique : le fait qu’un seul homme puisse en asservir des milliers. Il cite ite alors Simone Weil « Le peuple n’est pas soumis bien qu’il soit le nombre, il est soumis parce qu’il est le nombre. ». Il paraîtrait logique que le nombre l’emporte sur l’individu seul et donc par extension le peuple sur le tyran. Cependant la pluralité du peuple lui interdit de s’unir, car dans sa diversité contradictoire, il ne parvient pas à dégager une opinion commune et est dans l’impossibilité de renverser ce tyran. À l’inverse, l’élite gouvernant le peuple est organisée.
2)      Il souligne, dans un second temps, l’usage du pronom personnel « vous » qui attribue au lecteur une responsabilité directe. Il souligne en effet le fait que c’est parmi le peuple que le tyran recrute ses espions, ses forces armés et qu’ainsi le pouvoir du tyran repose sur le fait que le peuple contribue à l’appuyer en lui donnant la force nécessaire pour rester au pouvoir. L’auteur répond ensuite à une objection qui est la suivante : on pourrait dire pour défendre le peuple que le système repose sur ce qu’il appelle une « soumission pyramidale », c’est-à-dire que chacun va obéir à un supérieur mais qu’en définitive, le tyran est le seul qui gouverne vraiment, tout en haut de la pyramide. Il y répond en expliquant le fait que chacun a un supérieur qui le maltraite et un inférieur qu’il peut maltraiter.  C’est cette possibilité d’exercer un pouvoir sur un subalterne qui apporte une satisfaction et qui fait que le sujet reste asservi.
3)      Il mentionne une autre raison pour laquelle un peuple peut rester dans la servitude : l’abrutissement qui fait qu’il ne se rend même plus compte qu’il est asservi car il peut lui-même asservir quelqu’un, mais également l’habitude qui plonge l’homme dans un état passif où il supporte sa condition.
4)      Enfin il évoque le point culminant du chapitre c’est-à-dire la surobéissance, c’est-à-dire quand le peuple se met à servir et non à obéir avec presque une forme d’enthousiasme. La soumission est alors non seulement supportée mais voulue. Le texte est selon Montaigne écrit « contre les tyrans » et cependant il n’est pas une sorte d’appel au soulèvement et à la révolte. Il incite seulement le peuple à arrêter d’obéir plus qu’à désobéir. C’est-à-dire faire le minimum, obéir aux ordres sans aucun enthousiasme, sans volonté de bien faire. Frédéric Gros évoque alors concept de liberté, selon La Boétie, « il suffit de la désirer pour aussitôt l’obtenir », ce qu’il veut dire est le la liberté est interne, qu’elle n’est pas rendue impossible par un cadre étatique tyrannique. Les hommes la fuient car elle les confronte au fait qu’ils sont responsables de leurs actions alors que la servitude peut permettre de vivre dans l’illusion qui serait « certes j’ai commis ces actions mais l’idée ne venait pas de moi, ainsi je ne suis pas responsable ». F. Gros répond à une autre objection pouvant être faite à cette définition de la liberté fondée sur un exemple : les journalistes enfermés dans pays totalitaires, leur suffit-il de le vouloir pour être libre ? Pour La Boétie, liberté combat interne, « s’émanciper du désir d’obéir », être dans ce que F. Gros appelle « soumission ascétique », venant du grec « exercice », c’est-à-dire s’efforcer, s’exercer à obéir « à minima », de la moins bonne façon possible. C’est ce que Jacques Semelin, historien français, appelle la « résistance civile », une résistance alors pacifique, qui ne repose pas sur actes héroïques se révoltant contre l’ennemi. L’auteur évoque alors un exemple historique pour expliciter sa pensée, mobilise citation danoise apparue au moment où le pays était occupé par les nazis « Tu dois faire du mauvais travail pour les allemands ». Cette citation n’appelle pas à désobéir ouvertement ou à se révolter mais à travailler a minima, en frôlant d’ailleurs le sabotage.
C’est cette conduite que n’a pas le peuple asservi qui conserve le tyran au pouvoir. Va encore enrichir sa thèse en exemples, notamment celui de Marx dans Le Capital, qui parle de « surtravail » et de « survaleur », le patron va demander à l’ouvrier une charge de travail excessive afin de faire plus de profit mais également renforcer le pouvoir du dominant. Il en va donc de même pour la servitude politique, le sujet, s’appliquant à servir le mieux possible son tyran, assoit le pouvoir de celui-ci. L’auteur mentionne ensuite un autre concept tenant à la servitude. Il explique le fait que l’adoration commune d’une même personne crée un sentiment d’appartenance à une communauté, qui crée un « Nous » à la fois rassurant et satisfaisant.
Enfin, clôt le chapitre en évoquant Socrate et la fonction de la philosophie qui permet aux gens d’échanger, de dialoguer afin de sortir de ce stade de surobéissance. S’oppose alors à Descartes qui pense que la vérité s’obtient en dialoguant avec soi-même en disant : « Chacun tient un bout de vérité. », que la vérité est intersubjective. Ainsi, la philosophie, favorise les échanges, les débats et permet peut-être de préserver un peuple de la tyrannie.
















Florence Duchet TL