Désobéir, Frédéric Gros, Chapitre 10: "Dissidence Civique"

Désobéir, Frédéric Gros

Chapitre 10 : « Dissidence Civique »

Frédéric Gros, ici, s’intéresse à la question posée au XVIII° siècle : qu’est-ce que les Lumières ? Il se penche sur la réponse qu’y apporte Kant. Kant définit les Lumières comme un processus qui nous fait passer de la minorité à la majorité. La majorité serait la capacité d’émancipation, d’indépendance, d’autonomie : penser par soi-même, faire des choix seul. On pourrait relier cette majorité à une forme de liberté, une liberté intérieure qui fait que nous pensons par nous-même en l’absence de toute oppression extérieure. La minorité serait donc se laisser guider pour quelqu’un qui choisit pour nous ce qu’il faut faire et penser. Kant dit alors qu’il ne tient qu’à nous de devenir majeur. On peut penser alors à la thèse stoïcienne sur la liberté qui dit qu’il ne tient qu’à nous, qu’à un sursaut de notre volonté d’être libre, soit de se libérer de ses pensées et désirs irrationnels. Là aussi donc il ne tient qu’à nous de « penser bien ». Parvenir à la majorité demande des efforts, car on devient alors capable de penser par nous-mêmes, mais aussi de faire des choix qui nous mettent face à nos responsabilités. C’est pourquoi on complaît souvent dans la minorité : on n’a pas à réfléchir, à prendre des décisions, quelqu’un le fait pour nous. Cette idée rappelle la thèse de La Boétie dans son Discours de la servitude volontaire qui déclarait qu’on trouve un confort dans l’asservissement puisqu’alors on réfléchit pour nous. On revient donc à l’idée d’une liberté angoissante qu’évoquait Frédéric Gros au début de son livre. Pour Kant, il faut pour « penser bien », pour effectuer ce passage de la minorité à la majorité, du courage. Il faut du courage pour affronter les préjugés, les stéréotypes, toutes les facilités auxquelles on s’est laissé aller auparavant. Kant dit alors que, pour commencer, il faut refuser l’obéissance imbécile, aveugle, et par là il n’incite pas à la désobéissance mais à obéir avec une vigilance critique : obéir et réfléchir ne sont pas incompatibles comme on a tendance à penser, et c’est en ayant compris que l’un ne va pas sans l’autre qu’on débute notre périple vers la majorité. On peut alors se poser la question : comment user de sa raison, jouir de sa majorité sans jamais désobéir ? De là, Kant fait la distinction entre usage privé et usage public de la raison. Dans le cadre de son travail, Kant fait un usage privé de sa raison. En tant que professeur devant ses élèves, il ne peut imposer ses idées personnelles, sa raison, mais il ne les oublie pas. C’est lorsqu’il parlera, non pas en tant que professeur mais en tant qu’être humain à part entière appartenant à une société, qu’il pourra alors librement exprimer sa raison, ses pensées, et c’est alors qu’il fait usage public de sa raison. On devrait donc, dans certains cadres, où l’on s’exprime à travers un statut spécifique, d’une certaine manière s’autocensurer, mais lors de notre expression personnelle en tant que moi singulier et seulement moi, on jouirait d’une liberté totale. 
Frédéric Gros revient alors sur ce courage qu’évoquait Kant et qui nous permet de nous engager sur la voie de la majorité. Ce courage ne serait pas, dit Gros, l’affirmation d’un « moi » égoïste, autocentré, mais plutôt d’un « moi » qui s’oppose au « On », qui refuse que ce « On » pense pour lui. 
Frédéric Gros invoque ensuite Socrate qui parlerait de ce courage en terme d’ « examen » : « ne pas se précipiter, examiner », éviter toute erreur qui sauverait le corps plutôt que l’âme. Socrate en fait preuve lorsque Criton lui donne la possibilité de s’échapper de sa cellule mais qu’il décide d’y rester. Ce serait, dit Gros, non pas une « obéissance politique passive » mais peut-être bien une forme de désobéissance plus insidieuse. Dans son refus de s’échapper et donc dans son acceptation de sa condamnation, il n’est au contraire pas passif : il fait le choix de rester dans sa cellule et d’attendre sa punition mortelle.
Frédéric Gros évoque alors ce qu’il appelle « dissidence civique ». Il explique que celui qui fait preuve de « dissidence civique », lorsqu’il désobéit à une loi, une règle, il ne fait pas que désobéir, mais il obéit à quelque chose de supérieur : il obéit à ses principes. Face à une situation où il lui est impossible d’obéir, il désobéit et par là donc il obéit à ses convictions. Face alors à une situation où il nous paraît impossible d’obéir, Frédéric Gros déclare que l’obéissance ce serait désobéir à soi-même. 

Pauline TL