Avis critique de Lilly-Marie

Critique du livre « Désobéir » de Frédéric Gros

Un essai très intéressant, très documenté, une véritable mine d’or, un coup de cœur ! 
« Ce livre pose la question de la désobéissance à partir de celle de l’obéissance, parce que la désobéissance, face à l’absurdité, à l’irrationalité du monde comme il va, c’est l’évidence. Elle exige peu d’explications. Pourquoi désobéir ? Il suffit d’ouvrir les yeux. Elle est même à ce point justifiée, normale, que ce qui choque, c’est l’absence de réaction, la passivité. »
Frédéric Gros, professeur de pensée politique à Sciences Po Paris et spécialiste de Michel Foucault, interroge les raisons et les racines de l’obéissance civile. Un éclairage sur notre monde qui nous amène à comprendre pourquoi, face aux situations évidentes de désespérance, d’injustice etc. dans lesquelles le monde actuel est plongé, l’obéissance reste majoritairement de mise. 
Le propos de Frédéric Gros est sans ambigüité : il est plus qu’urgent de désobéir, de ne plus accepter cet « ordre » politique, économique, idéologique… 
Comment désobéir, remettre en cause l’ordre établi, alors que depuis Hobbes, Locke, Rousseau, il semble établi que hors du contrat politique, point de salut, c’est le retour à l’état sauvage le plus brutal ? Le conformisme est si sécurisant, alors pourquoi vouloir en sortir ? L’acte de désobéissance demande du courage, avec la menace de tout perdre y compris la vie. 
Le cas de Socrate, figure de proue de la philosophie occidentale, interpelle à cet égard. Condamné à mort injustement, son ami Criton lui offre la liberté par la fuite. Socrate décide d’obéir à la décision de justice fut-elle révoltante. En réalité, cet acte d’obéissance correspond à un choix individuel. Socrate choisit sa condamnation et fait éclater pour l’éternité la puissance de son choix. Il ne se réfugie pas dans la servilité par principe. 
Servilité que l’on retrouve dans l’affaire Eichmann développé par l’auteur. Le maître d’œuvre de la solution finale est jugé en 1961 à Jérusalem. Hannah Arendt découvre un chef de service médiocre, la terrible banalité du mal qui menace chacun d’entre nous de devenir bourreau. Comme le rappelle fort à propos Frédéric Gros, c’est une chose d’obéir sous la contrainte pour sauver sa vie, une autre de servir. C’est ainsi qu’Eichmann ne peut se réfugier dans sa posture d’exécutant contraint par un système coercitif irrésistible. Si l’extermination a pris cette dimension, c’est parce qu’Eichmann et un réseau d’acteurs convaincus ont porté le fer et le feu avec conviction. 
Un essai qui interpelle, un véritable appel à résister au conformisme et à la tyrannie. 
Très brillant ! A lire, picorer, relire, et surtout à méditer !
« … désobéir est une déclaration d’humanité. »